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Discussion "Cringe à pleurer" à la bibliothèque Les Fleurs Arctiques
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"name": "Cringe \u00e0 pleurer" ,
"description": "https:\/\/www.agendamilitant.org\/Discussion-Cringe-a-pleurer-a-la-bibliotheque-Les-Fleurs-Arctiques.html \n\nHonte et masochisme moral, mauvaise conscience r\u00e9pressive : que faire du cringe ? \n\nDans la panoplie des termes que notre \u00e9poque hyper morale utilise pour qualifier (d\u00e9crire, louer, revendiquer, bl\u00e2mer, exclure, \u00e0 ce stade peu importe) les comportements sociaux, le cringe attire notre attention. On voit bien ce dont il parle, au fond, et pourquoi ce sentiment tr\u00e8s particulier de malaise et d\u2019humiliation, r\u00e9pondant \u00e0 l\u2019int\u00e9riorisation d\u2019une repr\u00e9sentation normative et r\u00e9pressive du regard des autres, a pu avoir besoin d\u2019un terme sp\u00e9cifique. Entendre sa voix enregistr\u00e9e, c\u2019est cringe, parler trop fort quand tout le monde se tait aussi. Mais attention : quelqu\u2019un qui d\u00e9lire dans la rue, c\u2019est super cringe aussi, comme un macho qui traite trop mal les femmes. Un tatouage avec une croix gamm\u00e9e c\u2019est vraiment tr\u00e8s tr\u00e8s cringe, se consid\u00e9rer comme beau gosse avec un mulet aussi, et ainsi va la relativisation et la d\u00e9politisation qui l\u2019accompagne. \n\nAu d\u00e9part, il s\u2019agit bien d\u2019un sentiment d\u00e9sagr\u00e9able ressenti pour soi-m\u00eame, une hypersensibilit\u00e9 \u00e0 l\u2019\u00e9mergence soudaine et in\u00e9vitable, per\u00e7ue comme unanime, du jugement des autres, qui nous rappelle que ce que nous sommes pour nous-m\u00eames n\u2019est pas exactement identique \u00e0 ce que les autres en voient, et parfois nous condamne \u00e0 incarner \u00e0 nos propres yeux, une alt\u00e9rit\u00e9 insupportable, un sentiment qu\u2019on pourrait rapprocher de « l\u2019inqui\u00e9tante \u00e9tranget\u00e9 ». \n\nOn cringe d\u2019abord pour soi, au moment o\u00f9 on valide que le regard des autres tel qu\u2019on l\u2019int\u00e9riorise a raison, mais tr\u00e8s vite le rapport s\u2019inverse, et, comme pour conjurer une fois pour toute cette peur de la mise au ban sociale pour un comportement d\u00e9plac\u00e9, on se met \u00e0 cringer \u00e0 la place des autres, puis au d\u00e9pens des autres, et dans une identification malveillante qui tr\u00e8s vite devient rejet, on ressent la honte \u00e0 leur place, et on leur en veut de ne pas la ressentir et peut-\u00eatre aussi d\u2019\u00eatre plus libres que soi. Et voil\u00e0 ce qui fait le cringe aujourd\u2019hui : dans une inversion des positions troublante, on conjure le risque du jugement des autres, ou la compassion face \u00e0 ce risque, en incarnant la place du juge, et, ce faisant, on valide ce judiciarisme moral qui d\u00e9cide des limites de ce qui est socialement acceptable. Et ainsi chacun contribue \u00e0 l\u2019institution et au b\u00e9tonnage d\u2019un code informel des bonnes pratiques morales et sociales, de ce qui se fait ou ne se fait pas. Ce qui ne se fait pas, on le moque, on l\u2019humilie, on le harc\u00e8le — on le lynche, on l\u2019enferme, on le tue. Et \u00e0 bon droit puisque, ce faisant, on s\u00e9pare et prot\u00e8ge la normalit\u00e9 de ses marges ; ou plut\u00f4t on se s\u00e9pare et on se prot\u00e8ge du risque de la marginalisation, en s\u2019installant dans la normalit\u00e9 et en installant la normalit\u00e9 autour de soi. Car qu\u2019on rejette ce qui produit cet effet de malaise, ou qu\u2019on s\u2019en obs\u00e8de de mani\u00e8re morbide (il existe para\u00eet-il des « cringe parties » et les r\u00e9seaux sociaux produisent des relations terribles entre amateurs et fournisseurs de cringe, ces lol cows qui ob\u00e9issent aux injonctions sadiques de fournir de quoi se moquer en s\u2019exhibant selon le bon vouloir de leurs harceleurs), l\u2019unanimit\u00e9 suppos\u00e9e autour de ce qui produit le cringe d\u00e9limite la normalit\u00e9 de l\u2019anormalit\u00e9, et constitue le rapport actuel \u00e0 ce qui s\u2019est appel\u00e9 en d\u2019autres \u00e9poques le monstrueux. \n\nLa diffusion et l\u2019acceptation du cringe est peut-\u00eatre donc \u00e0 penser comme un retour de la centralit\u00e9 de la honte comme outil de maintien de l\u2019ordre des choses et du bon fonctionnement des rouages mondains, puisque c\u2019est au fond de cela qu\u2019il s\u2019agit : utiliser la honte et l\u2019humiliation (diffus\u00e9es et ressenties) comme r\u00e9gulateur des comportements sociaux. Ce processus n\u2019a rien de nouveau, on peut m\u00eame dire qu\u2019il a fait ses preuves, puisqu\u2019on le voit d\u00e9j\u00e0 \u00e0 l\u2019oeuvre dans la Gen\u00e8se, la honte \u00e9tant une des trois punitions divines qui accompagnent la chute du paradis et \u00e9tablissent le sort de la condition humaine. Toutes les religions en font un outil actif de contr\u00f4le et d\u2019obligation \u00e0 l\u2019ob\u00e9issance. S\u00e9cularis\u00e9e, elle s\u2019immisce au c\u0153ur des relations sociales, r\u00e9gule l\u2019\u00e9ducation des enfants, voire leur dressage si trop de bizarrerie risque de faire honte \u00e0 leurs parents, elle sert la domination des femmes (on ne peut quand m\u00eame pas tout se permettre\u2026), le refus le d\u00e9ni de toute sexualit\u00e9 « d\u00e9viante », et impose d\u2019\u00e9carter tous ceux dont l\u2019\u00e9tranget\u00e9 du corps ou de l\u2019esprit peut produire chez les autres cette « honte pour autrui » qui n\u2019a rien de bienveillant. Une partie du 20\u00e8me si\u00e8cle s\u2019est r\u00e9volt\u00e9e efficacement contre ces valeurs oppressives, et, des dadas au queer, du punk \u00e0 mai 68, on peut lire des pouss\u00e9es de refus de se laisser r\u00e9guler par la honte des autres. \n\nC\u2019est d\u2019ailleurs peut-\u00eatre parce qu\u2019une apr\u00e8s l\u2019autre, ces pouss\u00e9es \u00e9mancipatrices se sont retrouv\u00e9es institu\u00e9es en contre-cultures produisant leur propre appareil normatif, que l\u2019on voit aujourd\u2019hui se d\u00e9ployer le retour de cette morale de la honte et de l\u2019humiliation, d\u2019une mani\u00e8re qu\u2019on pourrait dire tr\u00e8s « transversale » puisqu\u2019il n\u2019y a plus de cur\u00e9 pour r\u00e9gner sur ce qui se fait ou ne se fait pas, sous une forme peut-\u00eatre att\u00e9nu\u00e9e, mais certainement d\u00e9multipli\u00e9e par les r\u00e9seaux sociaux. La particularit\u00e9 du cringe r\u00e9side dans le fait qu\u2019il traite de la m\u00eame mani\u00e8re tout ce qu\u2019on ne comprend pas et tout ce qui doit \u00eatre sp\u00e9cifiquement combattu : l\u2019anormal, l\u2019\u00e9trange, l\u2019alt\u00e9rit\u00e9 radicale de la m\u00eame mani\u00e8re que le sexisme, le racisme, le fascisme — tous r\u00e9duits au rang de « mauvais comportement ». Ainsi, un « relou » en soir\u00e9e sera cringe, qu\u2019il parle trop fort ou qu\u2019il soit nazi. C\u2019est la forme qui compte, c\u2019est elle qu\u2019on valide ou qu\u2019on condamne, le racisme « \u00e7a ne se fait pas », comme les gros mots ou mal s\u2019habiller. Tout est question de para\u00eetre, de r\u00e9putation, et c\u2019est l\u2019ensemble du champ politique et social qui se retrouve envahit par cette machine \u00e0 valider et \u00e0 exclure, en lieu et place des conflits par lesquels s\u2019ouvriraient des possibilit\u00e9s d\u2019en finir vraiment avec ce monde, mais aussi d\u2019accueillir l\u2019alt\u00e9rit\u00e9 comme elle le m\u00e9rite. \n\nOn se demandera donc ensemble quoi faire du cringe, en quoi il ressemble aux formes de r\u00e9pression morale par la honte qui l\u2019ont pr\u00e9c\u00e9d\u00e9, en quoi il en diff\u00e8re. \n\nSur Internet : Cringe \u00e0 pleurer – Les Fleurs Arctiques \n\nVoir aussi : Les Fleurs Arctiques – Une biblioth\u00e8que pour la r\u00e9volution – Paris 19e https:\/\/lesfleursarctiques.noblogs.org\/?p=2267" ,
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Thèmes :
Autre
Type d'événement :
Réunion publique
Quand ?
Cet événement est passé
Vendredi 27 mai 2022 à 19h30,
Où ?
Les Fleurs Arctiques
45 Rue du Pré Saint-Gervais 75019 Paris
Honte et masochisme moral, mauvaise conscience répressive : que faire du cringe ?
Dans la panoplie des termes que notre époque hyper morale utilise pour qualifier (décrire, louer, revendiquer, blâmer, exclure, à ce stade peu importe) les comportements sociaux, le cringe attire notre attention. On voit bien ce dont il parle, au fond, et pourquoi ce sentiment très particulier de malaise et d’humiliation, répondant à l’intériorisation d’une représentation normative et répressive du regard des autres, a pu avoir besoin d’un terme spécifique. Entendre sa voix enregistrée, c’est cringe, parler trop fort quand tout le monde se tait aussi. Mais attention : quelqu’un qui délire dans la rue, c’est super cringe aussi, comme un macho qui traite trop mal les femmes. Un tatouage avec une croix gammée c’est vraiment très très cringe, se considérer comme beau gosse avec un mulet aussi, et ainsi va la relativisation et la dépolitisation qui l’accompagne.
Au départ, il s’agit bien d’un sentiment désagréable ressenti pour soi-même, une hypersensibilité à l’émergence soudaine et inévitable, perçue comme unanime, du jugement des autres, qui nous rappelle que ce que nous sommes pour nous-mêmes n’est pas exactement identique à ce que les autres en voient, et parfois nous condamne à incarner à nos propres yeux, une altérité insupportable, un sentiment qu’on pourrait rapprocher de « l’inquiétante étrangeté ».
On cringe d’abord pour soi, au moment où on valide que le regard des autres tel qu’on l’intériorise a raison, mais très vite le rapport s’inverse, et, comme pour conjurer une fois pour toute cette peur de la mise au ban sociale pour un comportement déplacé, on se met à cringer à la place des autres, puis au dépens des autres, et dans une identification malveillante qui très vite devient rejet, on ressent la honte à leur place, et on leur en veut de ne pas la ressentir et peut-être aussi d’être plus libres que soi. Et voilà ce qui fait le cringe aujourd’hui : dans une inversion des positions troublante, on conjure le risque du jugement des autres, ou la compassion face à ce risque, en incarnant la place du juge, et, ce faisant, on valide ce judiciarisme moral qui décide des limites de ce qui est socialement acceptable. Et ainsi chacun contribue à l’institution et au bétonnage d’un code informel des bonnes pratiques morales et sociales, de ce qui se fait ou ne se fait pas. Ce qui ne se fait pas, on le moque, on l’humilie, on le harcèle — on le lynche, on l’enferme, on le tue. Et à bon droit puisque, ce faisant, on sépare et protège la normalité de ses marges ; ou plutôt on se sépare et on se protège du risque de la marginalisation, en s’installant dans la normalité et en installant la normalité autour de soi. Car qu’on rejette ce qui produit cet effet de malaise, ou qu’on s’en obsède de manière morbide (il existe paraît-il des « cringe parties » et les réseaux sociaux produisent des relations terribles entre amateurs et fournisseurs de cringe, ces lol cows qui obéissent aux injonctions sadiques de fournir de quoi se moquer en s’exhibant selon le bon vouloir de leurs harceleurs), l’unanimité supposée autour de ce qui produit le cringe délimite la normalité de l’anormalité, et constitue le rapport actuel à ce qui s’est appelé en d’autres époques le monstrueux.
La diffusion et l’acceptation du cringe est peut-être donc à penser comme un retour de la centralité de la honte comme outil de maintien de l’ordre des choses et du bon fonctionnement des rouages mondains, puisque c’est au fond de cela qu’il s’agit : utiliser la honte et l’humiliation (diffusées et ressenties) comme régulateur des comportements sociaux. Ce processus n’a rien de nouveau, on peut même dire qu’il a fait ses preuves, puisqu’on le voit déjà à l’oeuvre dans la Genèse, la honte étant une des trois punitions divines qui accompagnent la chute du paradis et établissent le sort de la condition humaine. Toutes les religions en font un outil actif de contrôle et d’obligation à l’obéissance. Sécularisée, elle s’immisce au cœur des relations sociales, régule l’éducation des enfants, voire leur dressage si trop de bizarrerie risque de faire honte à leurs parents, elle sert la domination des femmes (on ne peut quand même pas tout se permettre…), le refus le déni de toute sexualité « déviante », et impose d’écarter tous ceux dont l’étrangeté du corps ou de l’esprit peut produire chez les autres cette « honte pour autrui » qui n’a rien de bienveillant. Une partie du 20ème siècle s’est révoltée efficacement contre ces valeurs oppressives, et, des dadas au queer, du punk à mai 68, on peut lire des poussées de refus de se laisser réguler par la honte des autres.
C’est d’ailleurs peut-être parce qu’une après l’autre, ces poussées émancipatrices se sont retrouvées instituées en contre-cultures produisant leur propre appareil normatif, que l’on voit aujourd’hui se déployer le retour de cette morale de la honte et de l’humiliation, d’une manière qu’on pourrait dire très « transversale » puisqu’il n’y a plus de curé pour régner sur ce qui se fait ou ne se fait pas, sous une forme peut-être atténuée, mais certainement démultipliée par les réseaux sociaux. La particularité du cringe réside dans le fait qu’il traite de la même manière tout ce qu’on ne comprend pas et tout ce qui doit être spécifiquement combattu : l’anormal, l’étrange, l’altérité radicale de la même manière que le sexisme, le racisme, le fascisme — tous réduits au rang de « mauvais comportement ». Ainsi, un « relou » en soirée sera cringe, qu’il parle trop fort ou qu’il soit nazi. C’est la forme qui compte, c’est elle qu’on valide ou qu’on condamne, le racisme « ça ne se fait pas », comme les gros mots ou mal s’habiller. Tout est question de paraître, de réputation, et c’est l’ensemble du champ politique et social qui se retrouve envahit par cette machine à valider et à exclure, en lieu et place des conflits par lesquels s’ouvriraient des possibilités d’en finir vraiment avec ce monde, mais aussi d’accueillir l’altérité comme elle le mérite.
On se demandera donc ensemble quoi faire du cringe, en quoi il ressemble aux formes de répression morale par la honte qui l’ont précédé, en quoi il en diffère.
Sur Internet : Cringe à pleurer – Les Fleurs Arctiques
Voir aussi : Les Fleurs Arctiques – Une bibliothèque pour la révolution – Paris 19e